Imaginez donc, Mesdames et Messieurs, l’audace suprême : celle d’un homme que l’on ne soupçonne point de destruction, mais que l’on accuse, tenez-vous bien, d’avoir perfectionné un concept déjà existant ! Son crime ? Avoir offert à la musique, par la voie du format mp3, une légèreté nouvelle, un souffle de liberté dans un monde saturé d’objets. Quel outrage, n’est-ce pas, que de s’en prendre à l’encombrement ?
Et que penser, je vous prie, de celui qui, armé de génie et de pixel, eût entrepris de coloriser, par le truchement de l’ordinateur, des images jusqu’alors condamnées au noir et blanc ? Les dessinateurs, tels des gardiens d’un temple ancien, se seraient levés comme un seul homme, fourches à la main, clamant hautement la trahison, alors même que l’opération en question n’était autre qu’un admirable gain de temps, d’énergie, et de ressources matérielles.
Poursuivons l’hypothèse, si vous le permettez : supposons qu’un esprit éclairé — un véritable Prométhée moderne — eût osé faire progresser la technologie dans une direction résolument humaine. Quelle idée saugrenue ! Car, voyez-vous, dans notre époque curieusement contradictoire, où toute avancée semble faire offense à l’ordre établi, l’inventeur n’est plus un éclaireur, mais un gêneur. Il n’est plus celui qui ouvre la voie, mais celui à qui l’on intime de demander humblement la permission d’innover, pourvu qu’il n’efface point les traces — ô sacrées et poussiéreuses — de la cire du passé.
L’histoire, pourtant, regorge d’exemples édifiants. L’imprimerie, jadis, fit frémir les cloîtres. Certains moines copistes, redoutant que la connaissance ne s’échappât des mains des élites, crièrent au sacrilège. Loin d’être acclamé, Gutenberg fut d’abord suspecté de profaner le savoir. Et pourtant ! Son invention ouvrit la voie à l’essor de la science, de la pensée critique, et d’une certaine idée de la liberté intellectuelle.
L’électricité, quant à elle, fut perçue comme une force ésotérique, presque démoniaque. Des esprits égarés prédirent qu’elle troublerait les sens, altérerait les humeurs, et attirerait, pourquoi pas, les foudres célestes. Aujourd’hui, son absence nous apparaît comme une absurdité, tant elle a infusé jusqu’à l’intimité de nos gestes les plus anodins.
Et le téléphone ! Ce prodige de la voix sans visage fut d’abord perçu comme un outrage aux bonnes mœurs relationnelles. Alexander Graham Bell, loin d’être porté en triomphe, fut accueilli avec railleries. “Une conversation digne de ce nom ne saurait se passer de regard”, disait-on alors. Quelle ironie, lorsque l’on considère l’omniprésence actuelle des appels — parfois même en vidéo — jusque dans nos foyers les plus feutrés.
L’automobile, elle aussi, fut haïe avant d’être admirée. On exigeait qu’un homme marche devant les premiers véhicules, drapeau rouge à la main, pour prévenir le désastre. Les chevaux prenaient peur, les rues s’indignaient. Et pourtant, cette « machine du diable » redessina notre rapport au monde, au temps, à la liberté de mouvement.
Quant à Internet — ah ! ce vaste réseau tant décrié —, on lui prêta les pires intentions : abrutissement généralisé, isolement des individus, effondrement de la pensée. Et pourtant, c’est bien grâce à lui que ces mots, en ce moment même, vous parviennent. L’on peut ralentir le changement, certes, mais nul ne l’a jamais empêché.
Et que dire des innovations plus récentes ? La carte bancaire, d’abord moquée comme une chimère d’économiste fantasque, est aujourd’hui le vecteur quotidien de nos échanges. Qui, hormis quelques nostalgiques attendris, s’embarrasse encore de pièces sonnantes et trébuchantes ?
Le GPS ? Diabolisé sous prétexte qu’il rendrait l’homme dépendant, incapable de lire une carte. Comme si cela eût jamais été une compétence partagée par la multitude ! Le GPS n’a point atrophié nos esprits : il les a simplement délestés d’un fardeau.
Les livres électroniques ? Honnis pour ne point sentir le vieux papier, pour manquer du charme des reliures et de l’odeur d’encaustique. Et pourtant, dans le silence des wagons ou la pénombre des nuits solitaires, combien de lecteurs feuillettent, du bout du doigt, des bibliothèques entières ?
Enfin, vient l’intelligence artificielle — l’ultime épouvantail des temps modernes. Voleuse d’emplois, parodie de l’esprit humain, menace civilisationnelle… dit-on. Pourtant, en silence, la même est sollicitée pour diagnostiquer, dessiner, traduire, prévoir, créer. L’outil, toujours, demeure innocent. Ce n’est pas le ciseau qui sculpte l’œuvre, mais la main qui le guide.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, souvenons-nous que le passé doit inspirer, non contraindre. Il peut conseiller, certes, mais point emprisonner. Que le respect des traditions ne devienne jamais le prétexte d’un refus de penser l’avenir. Car l’innovation, en définitive, ne s’impose pas par la violence, mais par l’évidence.
Car, pour reprendre les mots éclairés du professeur et chercheur français Jean-Gabriel Ganascia :
« L’intelligence artificielle ne remplacera pas l’humain. Elle le contraindra à devenir meilleur. »

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